J'étais une jeune femme normale, tout à fait ordinaire. Née de parents coréens, arrivés aux États-Unis plusieurs années plus tôt, j'avais vu le jour dans une petite ville dans l'état de Washington. J'avais été mordue à l'âge de vingt-six ans. Je rentrais chez moi, tard, après une soirée avec des amis. J'avais un peu bu. Je n'avais pas vu que j'étais suivie. La morsure était arrivée rapidement, sur le pas de mon appartement. Trop rapidement. Je n'avais pas compris. Jusqu'au lendemain matin. J'étais dans mon lit, complétement nue, le corps secoué de frissons violents. Mon bras était bandé mais le sang était visible sous la gaz. Une femme se trouvait près de moi, regardant par la fenêtre de ma chambre. Praetor Lupus. Elle me prit en charge, m'expliqua ma nouvelle situation. Ma nouvelle nature me convint rapidement. J'avais grandie entourée de livres fantastiques, peuplés de créatures imaginaires. Désormais, elles prenaient vie. J'étais même l'une des leurs. Loups-garous. Je fus acceptée par la meute principale de Washington dans laquelle j'évoluais avec aisance. J'étais sociable, joyeuse, toujours prête à donner un coup de main. J'aimais ce nouvel univers. J'apprenais rapidement, avec passion, respectant scrupuleusement les règles imposées. Et je faisais confiance. A tout le monde. Même à ceux qui ne le méritait pas.


Obscurité. Douleur. Flash de lumière. Douleur. Brûlure. Acide. La notion de temps avait perdu tout sens. Mon esprit, brisé par les heures de souffrances endurées. Leurs rires, gras, cruels s’enfonçaient dans ma peau comme des aiguilles chauffées à blanc. Ou comme les lames qu'ils s'amusaient à planter dans ma chair sensible. Tortures. Supplice sans fin. Chasseurs d'Ombres. Une évidence. Des Nephilim, peu respectueux des Accords. Des meurtriers. Des monstres. Je n'avais rien demander. Je n'avais pas mérité ce qu'ils me faisaient endurer. Plus tard, j'apprendrais que je n'avais été qu'une distraction pour eux. Que je n'avais pas été l'unique victime. Mais que j'étais la seule à avoir réussi à m'échapper. Coup de chance, sûrement. Je ne considérais pas avoir un destin tout tracé. Ma fuite n'avait pas été un signe d'un quelconque dieu miséricordieux. Juste de la chance. Mon calvaire avait duré cinq jours. Personne n'avait voulu me croire. Pas même les membres de ma meute. Mon corps meurtri était la preuve des souffrances endurées. Mais il n'avait pu s'agir que de Terrestres. Les Chasseurs d'Ombres n'auraient jamais permis un tel comportement. Ouai, ma meute était une de celles qui faisait ami-ami avec les Nephilim. Je n'avais pas mon mot à dire. Je n'avais pas le pouvoir nécessaire pour être entendue. Pas si mon alpha ne prenait pas mon parti. Alors, j'étais partie. Loin. Je ne pouvais pas me permettre d'être une louve solitaire. Mon état ne me l'aurait pas permis. Mais j'avais des contacts. Je quittais donc Washington pour Londres. Intégrer une nouvelle meute. Là, où peut-être, on me croirait.


Brisée. Je n'étais plus là même, c'était évident. Brisée. Mon esprit s'évadait parfois. Brisée. La rage de sang était de plus en plus présente. Brisée. Je ne pensais qu'à les retrouver. Brisée. Les faire payer. Brisée. Survivre aussi. Brisée. Je les tuerais tous. Brisée.


Du rouge sur mes mains. Du sang dans ma bouche. Un cadavre étendu sur le sol. Je reculais d'un pas. L'odeur de la mort. Ma peau nue frissonna un instant sous le froid londonien. J'esquivais un sourire satisfait. Un halètement animal derrière puis un grognement plus humain. « Tu dois arrêter ça. » « Est-ce que c'est un ordre ? » « Ça pourrait le devenir. Nous ne pouvons pas nous permettre d'attirer l'attention de l'Enclave Mina. » Elle poussa un grognement féroce, animal en se tournant vers son alpha. « Ils ont commencé ! J'ai le droit de me venger ! » « Pas en tuant des innocents ! C'était un Terrestre ! » La coréenne éclata de rire, puis haussa les épaules. « Ça me détend de tuer. » Hunter était beaucoup trop gentil. Trop doux. Comme elle, auparavant. Mais il était le seul alpha a l'avoir cru. Pourtant, il ne lui permettait pas de massacrer les Chasseurs d'Ombres qui s'étaient amusés avec elle. Alors, elle tuait. Parce que ça lui faisait du bien. Parce qu'au fond, elle n'avait pas le choix. L'animal, la malédiction qui était la sienne comme celle de tous les loups-garous du monde, prenait de plus en plus souvent le contrôle de son esprit. Ils l'avaient brisée. Parce que lorsqu'elle se réveillait d'une crise, elle ne se sentait plus en colère. Elle trouvait alors l'apaisement pour quelques heures. Puis, la folie reprenait le dessus. Qui aurait pu croire qu'elle serait devenue une sociopathe sanguinaire ? Certainement pas elle. Folle. Elle était devenue folle. Et seul Hunter arrivait encore à la maîtriser suffisamment pour l'empêcher de se rendre directement à Idris pour partir à la recherche de ceux qui avaient fait d'elle une nouvelle sorte de monstre.

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